Encore une fois, oui, ENCORE une fois, il faut qu'un journal culturel, ici Télérama dans son numéro 3646 du 30 novembre 2019, se fende d'un "dossier" sur les formations en Design Graphique et cinéma d'animation. Quand on est comme moi enseignant dans ces deux disciplines, ce genre de dossier à de quoi énerver. Car encore une fois ce dossier fait la part belle aux formations privées et semble ignorer qu'il existe quantité de formations publiques qui dispensent - gratuitement - des formations équivalentes.

Repérons ensemble sur le dernier dossier les citations de formations publiques (surlignées en bleu) et privées (surlignées en orange).

 


Le paradoxe qu'on peut souligner dès le départ c'est que sur les artistes interviewés trois sur quatre sont issus de formations publiques (La Cambre en Belgique et ENSAD Paris). Notons également que la grande majorité des publicités associées à l'article sont de boites privées mais ça n'a rien d'étonnant quand on sait que les écoles publiques n'ont simplement pas de budget pour communiquer.

Le problème ce sont surtout les encadrés "les écoles" qu'on trouve sur les deux domaines.
 


Celui du Design Graphique est composé ainsi : un pavé introductif général pour dire que plein de formations publiques existent, ensuite une liste de 8 écoles, citant à égalité public et privé.
Ce qu'oublie de mentionner ce dossier, en citant LES écoles (pas "des" ni "quelques", hein... "les".. comme s'il n'y en avait pas d'autres) ce sont rien qu'à Paris les écoles Duperré, Renoir ou Prévert (Boulogne-Billancourt), formant toutes trois depuis des années au même titre que l'ENSAAMA ou Estienne. Et en province ? Puisque le dossier cite l'école privée de Nantes, il aurait aussi pu citer une des 38 formations publiques en design graphique DNMADe ? Chaumont, Rouen, Roubaix, Marseille... Elles sont toutes citées ici, on a l'embarras du choix, sans parler des privées sous contrat avec l'état (au moins 5 en design graphique), tout aussi valables et bien moins onéreuses que celles citées.
Que dire d'ailleurs des écoles de BeauxArts ou dépendantes du ministère de la culture dont certaines sont spécialisées en Design Graphique et d'un excellent niveau ? L'Esad d'Amiens ? D'Orléans ? De Cambrai ? Du Havre ?

 


Pour ce qui est des formations en cinéma d'animation c'est plus compliqué car 90% (estimation au doigt mouillé) de la formation dans le secteur est privée, tant pour des raisons économique qu'historique et parce que le métier nécessite souvent des formations modulables et techniques que l'éducation Nationale peine à encadrer. Mais elles existent : en plus des deux citées dans le dossier (ENSDA, Paris8) au moins 4 établissements publics dispensent un DNMADe en cinéma d'animation (Estienne Paris, Esaat Roubaix, Cournon d'Auvergne, Marie Curie Marseille), plus Sainte Geneviève à Paris (privé sous contrat). C'est quand même dommage de les oublier, non ?

La dernière bétise de l'article se trouve dans l'encadré "Les dipômes" qui cite deux formations qui ne recrutent plus (BTS et MàNAA) et qui sont donc totalement inacessibles aux lecteurs et lectrices de ce dossier. A quoi bon citer deux anciennes formations dans ce type de dossier ?

Mais pourquoi donc ce dossier semble si mal renseigné ?

indigence ou intérêt ?

Il faut probablement y voir une certaine indigence journalistique, bin si... il faut bien appeler cela ainsi. On peut aussi y voir un intérêt financier, les écoles privées étant les clients du Média Télérama, dispenseur de publicités à un public choisi de lecteurs amateurs de prescription culturelle.
Mais ça tient surtout probablement au contexte de ce dossier : le salon "Start" dont Télérama est partenaire avec Le Monde. Tous ces salons, génériques (de l'étudiant, des formations professionnelles, des métiers, etc) ou spécialisés (des métiers de la création, des métiers de bouche, du bien-être, des professions médicales, etc.) s'ils sont gratuits pour les visiteurs sont PAYANTS pour les exposants.


Et qui peut se payer - souvent très cher - une place visible à ces salons ? Qui peut aussi financer des hotes et hotesses qui font le pied-de-grue  le temps d'un weekend en distribuant des plaquettes clinquantes sinon les formations privées dont le système financier repose sur la visibilité et la séduction ?

Les formations publiques n'ont aucun moyen à dépenser pour aller là-bas, aucune ristourne, et peu d'enthousiasme chez les enseignants à aller jouer les représentants de commerce le temps d'un weekend non payé.

L'analyse des exposants listée dans le magazine me parait assez parlante.

 

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Alors restons positifs, le dossier n'est pas totalement à jeter, pour celles et ceux qui auront le bon sens de lire entre les lignes il faudra aller regarder le site officiel des arts appliqués, cité dans le dossier, pour trouver une liste de TOUTES les formations de design graphique et d'animation gratuites dispensées par l'éducation nationale.

Et puis les formations privées ne sont pas mauvaises en soi, certaines sont même de très grande qualité mais rappelons que le prix moyen de ces formations tourne autours de 8000€ par an pour des formations de 3 à 5 années...

Commencer sa vie professionnelle en passant dix années à rembourser un prêt étudiant me semble un projet d'avenir assez peu avenant quand des alternatives sont possibles.

Ce que je reproche à Télérama, en fidèle abonné depuis 30 ans, c'est de faire de la publicité à ce modèle économique alors que bien d'autres chemins existent et qu'ils ne sont pas bien compliqués à trouver pour peu qu'on s'en donne la peine, ce que le journaliste n'a manifestement pas fait.