Je n'ai jamais fait mystère du mépris que m'inspire la confusion entre les deux domaines cités en titre. Pour beaucoup de gens, la BD et le dessin animé c'est kif-kif bourricot, bonnet-blanc et blanc bonnet (oui : j'aime bien les expressions désuètes), souvent désignés tous deux par l'appellation de "p'tits miquets".Il ne viendrait à l’esprit de personne de confondre photo et cinéma, boulangerie et pâtisserie, fumisterie et couverture.. même si évidemment ces binômes ont des choses en commun (le fumiste s'occupe des cheminées, le couvreur des toits, je dis ça pour ... non.. bon...).
 
P'tits miquets et petits Mickeys
 

Les liens qui existent entre ces deux domaines que je chéris indépendamment (bande dessinée et cinéma d'animation) sont - il faut l'avouer - parfois ténus. Mais ils disposent de particularités qui leurs sont propres. Et ceux qui veulent les rapprocher et participent à les confondre le font pour de mauvaises raisons : principalement par ignorance, dédain, mercantilisme et/ou frilosité intellectuelle. Je m'explique par la suite.

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Mais il m'est arrivé une expérience assez troublante en février dernier : je suis allé au festival Anima de Bruxelles (ville importante pour ces deux arts s'il en est) assister à deux conférences passionnantes et consécutives qui m'ont fait mettre un peu d'eau dans mon vin : on y entendait Arthur de Pins parler de son adaptation de Zombillenium en long métrage et Benjamin Renner évoquer l'adaptation en trois courts métrages du Grand méchant renard et de son album un bébé à livrer.

Ces deux auteurs, français en Belgique, qui sont à la fois auteurs de BD et animateurs/décorateurs/réalisateurs, ont évoqué leur travail d'adaptation avec intelligence et j'ai été pour une fois convaincu que le passage d'un support à l'autre pouvait s'envisager pour autre chose que des mauvaises raisons.
 
Commençons si vous le voulez bien par définir deux trois bricoles sur ce qui différencie animation et bande dessinée, des fois qu'un journaliste passe dans les parages...
 
Une bande dessinée - dans la majorité des cas - est une surface discontinue. Les pages se juxtaposent, simultanément (page de gauche et de droite) ou en séquences qui se suivent (les pages qu'on tourne et qu'on ne voit donc pas toutes ensembles) on trouve d'ailleurs le terme un peu pédant d'art "séquentiel" pour qualifier la bande dessinée. En bande dessinée, le temps est espace. C'est en parcourant les pages des yeux que le récit se déroule. MAIS et c'est là que se niche selon moi toute une part de la singulière beauté du média, on en a également une vision globale et simultanée. Il y a d'incessants passages entre la partie et le tout, la case et la page, le phylactère (la bulle de texte), l'onomatopée et le dessin, les mêmes personnages sont présents plusieurs fois dans la page dans des positions et des angles différents...
 
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N'oublions pas non plus que le livre est un objet, autonome, avec sa matérialité sensuelle, son poids, sa taille, son épaisseur, l'odeur des encres... Je ne vais pas vous faire un cours que je serais de toutes façons bien en peine de construire (relisez l'Art invisible de Scott McCloud) mais juste montrer quelques exemples piochés dans des parutions récentes.
 
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Dans Mort & Vif, le dessinateur David Prudhomme fait des pages aux cases séparées d'un simple trait. Si j'ai par ailleurs assez peu gouté l'album en tant que tel, j'ai apprécié l'ingénieux jeu graphique qui fait correspondre les lignes d'une case à l'autre formant cette impression d'imbrication et de continuité. Les lignes de vitesse se transforment en rayures du pantalon, le volant se termine par l’œil d'un personnage de la case du dessous. Je ne sais pas trop l'effet que cela donne, probablement que ça contribue à accentuer le propos étrange de l'histoire.

Dans Imbattable, Pascal Jousselin joue sur les passages entre les cases, un peu comme Goltib ou même Töpffer en leur temps.

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Dans la planche de Bouzard extraite de son livre sur le Rubgy (avec Olivier Bras), le phylactère de la case 2 masque le personnage de droite qui apparait dans la case 3 et dévoile un gag. C'est simple mais efficace puisque le cadrage reste à peu près le même et que le discours s'éclaire par un élément qui se révèle.
 
On ne va pas soliloquer sur les procédés mais juste préciser que ces éléments - parmi tant d'autres (la case finale qui incite à tourner la page, le texte qui est DANS l'image, le format des cases qui varie selon les effets voulus, etc) -  NE SONT PAS transférables à un autre médium. Et ces potentialités ne sont pas récentes, elles ont été explorées de tous temps et dès les débuts du médium, relisez Töpffer, Herriman ou McCay !
 
Même en littérature, l'auteur se préoccupe peu de mise en page. Que tel mot termine la page ou qu'un paragraphe soit présent au milieu d'une autre n'est pas des préoccupations d'un romancier, à part peut-être des Oulipiens.
Seule la poésie pourrait donner une forme d'équivalence avec ses rimes et sa forme fixe.
Le livre de bande dessinée est donc un tout, une histoire, une œuvre, séparée en pages, en cases. Le texte et l'image sont imbriqués donnant le meilleur des deux univers, texte et dessin.
 
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Selon moi une des grandes réussites du genre de ces dernières années est un livre d'Alex Baladi, édité chez The Hoochie Coochie : Renégat. Le livre est un superbe récit, tout en noir et blanc,  témoignage de pirate converti raconté dans des entrelacs de bulles et de cases, de témoignages et de flashbacks (Ho.. un terme cinématographique !), de pages chargées ou d'une grande blancheur. La beauté du noir, la qualité du papier, le travail des lettrages de ce livre qui commence par un simple trait au milieu de la page m'ont enchanté.
On peut sinon évoquer le génial Building Stories de Chris Ware, collection de livres de tous formats assemblés dans une boite, tournant autours d'un thème commun... Deux œuvres en tout cas totalement indétournables de leur support premier.
 
Autre particularité de la bande dessinée, c'est un art de solitaires. Si on excepte les travaux des studios (Hergé, Peyo) ou les armées de dessinateurs américains impliqués dans la fabrication d'un comics ou mêmes les ateliers de Mangakas (bon... ça fait un peu beaucoup d'exceptions) l'auteur peut n'être qu'une personne seule, ou il peut n'y avoir que très peu de personnes impliquées dans la réalisation d'un album (dessinateur, scénariste, coloriste). En tous cas rien à voir avec la quantité nécessaire à la réalisation d'un film d'animation, un des critères qui en font une industrie particulièrement dispendieuse. Encore une fois il y a des exceptions, beaucoup de réalisateurs d'animation travaillent seuls mais ils sont plus rares et même Sébastien Laudenbach (la Jeune fille sans mains) ou Bill Plympton ont besoin de musiciens, de comédiens pour incarner les voix, de producteurs, d'assistants ou de coloristes.

Ça veut dire qu'une œuvre de BD complète, complexe, peut émerger de moyens modestes ; de papier et d'encre.

Le solitaire, c'est aussi le lecteur : rares sont les expériences de lecture collective. La BD permet de lire à son rythme, le spectacle se déroule pour soi, juste pour soi, il est en ce sens une relation assez privilégiée entre l'auteur et l'amateur de l'oeuvre, relation elle aussi séquencée puisqu'elle peut s'arrêter et reprendre au gré de la lecture.

 
Le cinéma d'animation, bin hé... c'est du cinéma. Une industrie difficile à contracter, il faut souvent un paquet de monde pour aboutir à la finalisation d'un film et un film est conçu pour être une oeuvre qui s'apprécie en collectivité ; la salle, les téléspectateurs, la famille..
Au cinéma le temps c'est du temps - même s'il peut s'y dilater ou s'y compresser.
Le cadre donne bien des notions de surface mais pas différentes de chez Orson Welles. Si les moyens et la liberté sont plus grands en animation qu'en prise de vue réelle - on peut faire parler des animaux, faire exploser des planètes, voler des baleines et des dragons - grosso modo on a un langage filmique qui à mon avis domine le langage graphique, même s'il y a évidemment des exceptions (les écrans séparés chez Driessen, les pellicules grattées de McLaren, l'écran d'épingle...).

Pourquoi donc confond-on bande dessinée et cinéma d’animation ? Pourquoi se télescopent-ils ? Pour de mauvaises raisons la plupart du temps.

 

Shebam, pow, blop, wiiiz !
Selon moi la principale serait marketing.
En 2015, 28 bandes dessinées francophones ont donné lieu à des films, téléfilms et dessins animés (rapport ACBD).
Pour lever des fonds (il en faut donc beaucoup pour faire un film ou une série d'animation), on considère qu'une bande dessinée ou une série de bande dessinée avec un personnage qui a déjà un public installé et un patrimoine scénaristique rassurera les investisseurs. Un peu comme une dot dans un mariage de raison. Mauvais calcul selon moi, les publics n'étant pas les mêmes et l'adaptation passant par des filtres qui altèrent ou modifient souvent la série originale, au niveau du style graphique et narratif.
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La célèbre adaptation des Schtroumpfs par Hanna & Barbera avait nécessité en son temps quelques adaptations dommageables : la magie du grand schtroumpf ne passait plus par des potions et des breuvages (imaginez qu'un spectateur s'empoisonne en voulant faire pareil) mais avec des poudres magiques plus inoffensives, il avait aussi fallu ajouter des personnages, humains ou lutins qu'on ne retrouvait pas dans la série de livres.
L'adaptation du petit Spirou me semble un bel exemple récent d'adaptation ratée. Le préquel nostalgique d'un gamin travaillé par ses hormones et tyrannisé par un prof alcoolo et un curé moraliste s'est transformé en une série qui a gommé tout rapport au sexe, a supprimé le personnage du curé et rendu le prof de sport sobre et non fumeur... Un comble. La série animée - qui a probablement des qualités intrinsèques (??) - n'a donc plus rien à voir avec la série de bandes dessinées dont elle est issue.
Au moins le long métrage qui sortira en septembre a l'air un peu plus "conforme"...
 
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Même quand l'adaptation est très respectueuse de l'univers original, comme dans les adaptations du studio Normaal du Gaston de Franquin on a un résultat mitigé. Il faut dire que faire bouger un dessin déjà très mobile quand il est statique revient à faire une surenchère avec laquelle le dessin n'est pas forcément compatible, une sorte de pléonasme, sans même parler de l'adaptation sonore d'un média muet... Sonoriser le gaffophone... non mais je vous demande un peu...
 
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Pensons aussi que les séries animées qui fonctionnent sont souvent adaptées en BD. Même les Kassos, série YouTube, a sa BD, dans le pire des cas ce sont même simplement des photogrammes des films qui sont assemblés pour faire un livre comme pour certains succès des studios Ghibli.
La BD devient un produit dérivé d'une production industrielle cinématographique, se confondant le cas échéant dans l'imaginaire des gens.
 
Ce qui entretient aussi la confusion c'est assez simplement que les auteurs sont parfois les mêmes. Pour des raisons économiques, les dessinateurs de BD sont amenés à exercer leurs talents dans le cinéma d'animation et inversement. Évoquons simplement Guy Delisle, animateur au générique du génial Moine et le Poisson de Michael Dudok de Wit, superviseur sur des séries comme Papyrus, auteur de bande dessinée par ailleurs. Ou les auteurs de LastMan, série de bande dessinée dont l'univers a été décliné en série animée (attention, il y a ici complémentarité des médiums, pas redondance), tous naviguant plus ou moins dans l'industrie du cinéma d'animation (Balak, Sanlaville, Vivès).

On peut aussi souligner que les formations en bande dessinée sont beaucoup plus rares que les formations en animation, des auteurs comme Bastien Vivès, Marion Montaigne ou Ugo Bienvenu pour ne parler que des jeunes générations, ont fréquenté les célèbres Gobelins en animation.
 
Ce que je retiens en ce qui me concerne c'est que si un film est réussi, il l'est différemment du livre dont il est tiré, même quand c'est par leurs auteurs comme pour Akira ou Persepolis, mais ici encore, je préfère - et de loin - les œuvres de bande dessinée à celles animées.
 

D'ailleurs la chose me choque moins quand il s'agit de passer d'une bande dessinée à un film, comme pour Mon ami Dahmer (bientôt au cinéma), Polina, le futur Valérian, Scott Pilgrim, 20th century boys, Poulet aux prunes ou Les petits ruisseaux, ces deux derniers étant même adaptés par leurs auteurs en personne. Le détournement me paraît plus radical et n'exploite que peu l'univers graphique préexistant.

 

La flûte à six schtroumpfs ou Astérix et Cléopatre sont-ils de bons films ?
Malgré tous ces exemples et contre-exemples je fais partie des gens qui considèrent qu'une bande dessinée N'A PAS BESOIN d'être adaptée à l'écran, que bien souvent il s'agit même d'une trahison avec un résultat infiniment inférieur à l’œuvre d'origine. Repensons aux adaptations animées de Tintin, Astérix, LuckyLuke, les Schtroumpfs, Titeuf...

Les créations qui utilisent avec intelligence le médium animé sont tellement enthousiasmantes (Gumball, Molusco, Purple and Brown, Shaun, South Park, Gravity Falls, pour ne citer que quelques séries...) qu'il me parait idiot d'aller détourner une œuvre du répertoire de la bande dessinée pour en faire un mauvais film ou une mauvaise série alors qu'il y a tellement de potentiel dans le média animé en LUI-MÊME.

Et donc en Février : paf... Le doute. Des gens intelligents et dont j'apprécie le travail qui me convainquent qu'on peut finalement faire une bonne bande dessinée ET un bon film sur le même matériau graphique et narratif.

La première conférence était celle d'Arthur de Pins, libre entretien avec Morgan di Salvia.
Bon. Je trouve franchement discutable que les conférenciers aient parlé 40mn sans montrer une seule image, un modèle de ce qu'il faut éviter dans une conférence de ce type. Évoquant ses débuts, Arthur de Pins à parlé pas mal de ses influences et premiers travaux. Bricoler un petit diaporama avec quelques images de Kiraz, de son premier film Géraldine, de ses illustrations érotiques ou de la révolution des crabes n'aurait pas été très compliqué, tout le monde dans la salle n'étant pas forcément au fait de ces références.

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Arthur de Pins a évoqué son début de carrière avec la déception de son second film, l'Eau de Rose, un film dont il a décrit la déchéance (et que j'avoue n'avoir jamais vu). Après le succès de Géraldine, il a facilement trouvé un producteur mais le film s'est embarqué dans des complexités, des jeux d'influences, de délais, qui ont abouti sur une réalisation ratée. Sélectionné dans aucun festival le film n'a eu aucun écho et De Pins a compris qu'il n'envisageait pas sa carrière dans l'animation si c'était pour passer trois ans sur un projet qui aboutissait à un tel fiasco. Il s'est donc redirigé vers l'illustration pour adultes, bricolant par ailleurs des petites choses avec Flash. Un de ces bricolages - la révolution des crabes - a fait un petit buzz sur le net et il s'est retrouvé à dériver le projet (à l'époque je me souviens qu'on parlait même d'un long métrage !) en une trilogie de bandes dessinées. A la demande du journal de Spirou il a aussi commencé une série pour Halloween avec des monstres qui tiendraient un parc d'attraction, Zombillenium.
L'opportunité de décliner l'univers de la série - qui s'est forgé un petit succès de librairie - en film d'animation s'est assez vite imposé. Pas forcément pour des raisons marketing d'ailleurs, mais plus parce que l'auteur ayant les compétences dans les deux domaines, il lui semblait intéressant de décliner l'univers pour l'ouvrir à un public plus large et puis tout simplement parce que l'opportunité s'est présentée, même si le montage financier n'a pas été si simple.
 
qui est touché ?
Ha oui, on n'a pas encore évoqué la chose mais le public qui voit ou lit une œuvre est souvent différent. Un succès de librairie, comme l'Arabe du futur de Riad Sattouf se vend à quelques 300 000 exemplaires. Mais ce succès sont très peu nombreux et la plupart des albums ne se vendent pas à plus de 10 000 exemplaires. Même si la Tortue Rouge tourne à 380 000 spectateurs en France et que Dofus atteint à peine les 90 000 spectateurs, ça sera - hélas - toujours plus que ce que toucherait un livre, surtout qu'un petit succès peut facilement atteindre le million de spectateurs.
Ce que j'ai trouvé passionnant dans la conférence Zombillenium c'est que son auteur a parlé de la nécessité de réécrire la série pour le médium spécifique du cinéma. Le personnage principal de la série de bande dessinée, considéré comme d'un caractère trop passif, ne pouvait selon son auteur s'adapter au rythme d'un film. Il a donc réécrit complètement le personnage pour en faire un acteur plus impliqué dans le déroulement du film et en conséquence remodelé la trilogie de livres pour en condenser l'univers en un long métrage. La particularité aussi de cette série c'est qu'Arthur de  Pins la réalise totalement numériquement, sur une antique version d'Adobe Illustrator. Le passage à l'animation 3D a été facilité par ce rendu digital, certains éléments vectoriels ayant même été réutilisés dans des plans du pilote, le clip de Skip The Use.
Bon, les images montrées ne m'ont pas particulièrement séduites - j'avoue ne pas avoir dépassé le premier tome de la série - pas plus que le teaser qui annonce le film pour Halloween de cette année, ma fille, amatrice de la série, a eu l'air d'y trouver son compte.
 
La seconde conférence réunissait Benjamin Renner, Patrick Imbert et Didier Brunner pour évoquer l'adaptation du film le Grand méchant Renard. En fait de film il s'agit de trois courts métrages prévus comme des spéciaux TV mais finalement assemblés pour sortir au cinéma en cette fin du mois de Juin. Benjamin Renner est l'auteur des bandes dessinées dont les courts sont adaptés (Le Grand méchant Renard et un bébé à livrer), Didier Brunner est le producteur légendaire de Kirikou, des triplettes ou d'Ernest et Célestine (et donc de ce film), Patrick Imbert a réalisé un des trois films (le bébé à livrer).
Là, pardon, mais on a eu droit à une conférence captivante, bien introduite, illustrée, rythmée. Je suis un grand fan de Mr Renner, je trouve qu'à l'image d'un Alexandre Astier, il a su créer un univers singulier, un ton spirituel, sans vulgarité et d'une drôlerie que beaucoup d'auteurs peuvent lui envier. Comme en plus il a un dessin vif, simple, expressif, c'est un des hommes les plus talentueux de sa génération pour ce qui est de produire des films d'animation grands publics et pleins d'humour.
Encore une fois, l'auteur a parlé de la problématique de l'adaptation.
Dans la bande dessinée, Benjamin qui n'aime pas faire de décors se contente souvent de placer le contexte dans la première vignette puis de ne dessiner ensuite que les personnages, les dialogues et les interactions. Un procédé difficile à reproduire en animation. Surtout que les décors sont souvent minimalistes esquissés à l'aquarelle dans une large surface blanche. S'ils ont pensé un temps conserver le procédé de cadre ovale, Benjamin Renner a pris la décision d’adopter une attitude plus classiquement "dessin animé", avec des décors construits et prenant tout le cadre notamment pour éviter les soucis des plans nocturnes délicats à gérer sur fond blanc.
 
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" est-ce que quelqu'un peut récupérer Michel ? "

Un des autres soucis a été de différencier les trois poussins, identiques dans la bande dessinée, il a fallu leur donner des personnalités, vocales puis graphiques, plus cinématographiques. Le choix des voix a été soigneux et les petites intonations de Michel, le copain-poussin sont déjà devenues cultes pour moi ("bonjoumadaaame")... Sur l’adaptation graphique, le choix technique a été le même que sur Ernest et Célestine, une animation sur Flash, un outil simple et universel, image par image sans interpolation, une équipe resserrée d'une douzaine d'animateurs talentueux, un budget ridicule de moins de 4 millions d'euros. Et à voir la qualité de l'acting, l'expressivité des personnages, la qualité de l'adaptation (pas de surprise sur l'histoire qui est la même que dans les livres), j'avoue que j'ai hâte de voir le résultat, dussé-je partager la salle avec des hordes de gamins en sortie scolaire.
 

L'avenir nous dira donc si ces œuvres ont bénéficié de ce détournement de médium, passer de l'état de livre de bande dessinée à celui de film d'animation, si - pour une fois - le film sera aussi réussi, sans pour autant reléguer l’œuvre originale à l'état de sous-produit. Les auteurs étant ici à l’œuvre dans les deux cas, on aura du mal à les accuser de trahison.
 
Bon, voila, je voulais faire cet article depuis longtemps pour crier ma passion de la bande dessinée et du film d'animation en éructant ma haine pédante des amalgames et je me retrouve à grignoter mon chapeau au bout d'un texte confus et trop long.
 
Un jour peut-être je cracherai un fiel plus pur sur ces bandes dessinées qui adaptent des livres : l’étranger de Camus, Robinson Crusoe de DeFoe, Moby Dick de Melville... Non mais franchement... adapter des livres en livres ? Cela ne contribue-t-il pas à relayer la bande dessinée au rang de digest pour analphabètes, trop fainéants pour lire un livre sans images ? Oui mais ils ont déjà été adaptés au cinéma ces livres, et parfois pas par des tacherons (John Huston pour Moby Dick), pourquoi pas en bandes dessinées ? T'es qui pour juger de la pertinence de cette adaptation ? Et que penser des illustrations de Céline par Tardi ? Arrrhhh ! Ta gueule ! Tiens, au fait je n'ai pas le souvenir (à part chez Hergé qui s'est repris lui-même) d'avoir connaissance de remakes de BD... Un nouveau dessinateur qui refait un album ancien... Ni en cinéma d'animation d'ailleurs... Alors qu'en cinéma le procédé est presque courant... Y'aurait-il une spécificité de l'œuvre à aller chercher par là ?
 
Bon, le "roman graphique", ça c'est un sujet de colère authentique ! Associer un terme littéraire pour donner un vernis de sérieux à des bandes dessinées qui sans celui-ci seraient trop vulgaires pour que ces braves intellectuels daignent considérer ces objets comme de vrais livres ?! Didjuu...
 
Bon, je vais prendre une douche froide.
 
 

Il faut toujours citer ses sources, les albums cités :

La série Zombillenium, de Arthur de Pins est éditée chez Dupuis.
Le Grand méchant renard, de Benjamin Renner est édité par Delcourt dans la collection Shampooing.
Un bébé à livrer de Benjamin Renner est disponible chez Vraoum!, la première parution était signée du pseudonyme Reineke.
J'ai mis deux extraits de la géniale série du regretté Richard Thompson, Cul-de-Sac, éditée en France par Urban Comics.
Mort&Vif de Jef Hautot et David Prudhomme est paru chez Futuropolis.
Imbattable de Jousselin est paru chez Dupuis.
Le Rugby, de Guillaume Bouzart et Olivier Bras est paru chez Le Lombard, collection la petite bédéthèque des savoirs.
Renégat, d'Alex Baladi est paru chez The Hoochie Coochie.
Building Stories de Chris Ware a enfin été traduit chez Delcourt.
La série Le petit Spirou de Tome et Janry est paru chez Dupuis.
Les Kassos, de Balak, Chammas et Dos Santos est paru chez Delcourt.
L'arabe du futur de Riad Sattouf est paru chez Allary Editions.

Pour les autres références, cherchez par vous-mêmes...