Parlons aujourd'hui d'un auteur qui m'est cher et qui me donne un peu l'impression, en étant dans le groupe de ses admirateurs, de faire partie d'une petite secte ou d'une sélection de happy-few comme les amateurs de Magma ou les membre de la confrérie de taste-andouille de Vire.

Je veux parler de Daniel Goossens.

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Déjà j'ai jamais su comment ça se prononçait : Go/sens ou Goût/scène mais j'ai toujours apprécié son travail, un incroyablement singulier assemblage d'humour associant sophistication extrême et grossièreté fulgurante, servi par un dessin d'un réalisme étonnant vu qu'il porte pourtant son lot de gros nez et de grotesque.

Daniel Goossens officie dans Fluide Glacial depuis quelques décennies, difficile de l'imaginer ailleurs - même si l'Association et les Humanoïdes Associés ont édité quelques planches.
Pourtant il n'est pas d'un abord facile. Je suis bien persuadé que certains lecteurs de Fluide passent ses bandes sans même les lire, rebutés par l'austérité de la chose : grisâtre, verbeux, momoche, pour aller ricaner dans les délires cartoonesques et priapiques d'un Edika ou d'un Coyote (paix à son âme), plus faciles et instantanées.
 
Et c'est tant pi pour eux.

Ils ne sauront peut-être jamais ce qu'ils ratent et finalement j'ai presque peur que ce génie de l'humour jouisse un jour d'une plus grande renommée tant l'appartenance à une petite élite de ses amateurs me semble confortable. J'aimerai pourtant prêter plus souvent ses livres à mon entourage et recevoir autre chose en retour d'un regard navré qui me fait comprendre que je suis descendu encore un peu plus bas dans l'échelon de leur estime.. et grand-gosse-qui-joue-aux-jeux-vidéo-et-lit-des-bédés, c'est déjà pas bien haut.

Certes le travail de Daniel Goossens a peu évolué depuis ses premières bandes. Le dessin s'est un peu simplifié mais on retrouve ces valeurs en lavis, ce dessin réaliste à peine caricatural, souvent gris, ces cases bavardes, avec globalement peu d'action et des cadrages très cinématographiques dans un sens classique.

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Depuis la vie d'Einstein - fausse biographie du génie de la physique - et l'encyclopédie des Bébés - chroniques diverses et hilarantes dont les bébés sont les personnages principaux, l'auteur s'est trouvé deux personnages prétextes à une infinité de délires parodiques : Georges et Louis.

Romanciers de profession - du genre à rédiger les notices de manuels d'équitation - le plus petit (Louis) rêve de révolutionner la littérature et se lance sans cesse dans des projets délirants, sortes de Bouvard et Pécuchet du XXe siècle.

Difficile de qualifier l'humour de Goossens, très parodique, mais pas d’œuvres précises ; mythes, contes, séries B, films catastrophe ou de science fiction, de la culture populaire accessible à tous - c'est à dire non savante, un travail de l'absurde et du non sens, des jeux sur les codes sociaux, les conventions, les stéréotypes. C'est une œuvre d'une belle profondeur, plus subtile qu'il n'y parait.

Je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici une double page qui m'a fait hurler de rire, publiée dans le Fluide Glacial spécial Noël de 1996 où Goossens reprend les petits doodles gribouillés en salles de cours sur les Mexicains vus de haut, blagues visuelles à bases de dessins abstraits. Par exemple ceux-ci :

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Fig.1 : Un mexicain vu de haut qui fait du vélo.
Fig.2 : Trois mexicains vus de haut qui pissent contre un mur, celui du milieu raconte une histoire drôle et les deux autres rigolent.

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Le mexicain dessiné par le maître de la peinture espagnole de Goossens est bien sur le comble de l'absurde : en dessinant de façon réaliste un mexicain qui se fait cuire un œuf, le gag ne fonctionne plus que pour les andouilles hilares qui lisent et savent. Un sommet d'humour absurde a été atteint ici. Et je ne pense pas qu'elle ait été publiée en album, ce qui est bien dommage.

Essayez aussi de trouver ce génial dessin de couverture avec Jésus qui veut manger une hostie, brillant.

Alors oui, je ris un peu moins à ses récentes productions, le dernier album Combats comporte quand même quelques perles, mais si vous n'avez jamais lu sa géniale Encyclopédie des bébés, jetez vous dessus, les trois volumes ont été publiés en intégrale ce qui est pratique.

Il n'y a pas vraiment d'équivalent à Goossens, difficile de trouver donc un comparatif. Je serais tenté de le placer dans mon panthéon personnel dans une famille qui comprendrait René Pétillon, Gary Larson et Nicolas Mahler, pour des raisons différentes. On en reparlera.

Donc :
Lisez Goossens!

Vous avez ici une entrevue croisée Goossens - Poelvoorde assez intéressante à écouter.